Retour du débat sur la langue française à Montréal

Retour du débat sur la langue française à Montréal
Le chef de Mouvement Montréal, Balarama Holness, qui souhaite rendre Montréal bilingue. (Photo : Kate McKenna/CBC)

Alice Kirouac-Nascimento et Philippe St-Denis

L’enjeu de l’identité de la ville de Montréal a été touché lors des promesses en vue de l’élection municipale, puisqu’un candidat à la mairie, Balarama Holness, a exprimé son désir de tenir un référendum sur la langue française à Montréal dans la deuxième partie de son mandat s’il était élu.

L’élection municipale 2017 mettait aux prises le maire sortant Denis Coderre contre Valérie Plante et Jean Fortier. Quatre ans plus tard, l’élection municipale 2021 est encore une lutte entre Denis Coderre et cette fois-ci, la mairesse sortante Valérie Plante. Cependant, il y a une autre différence pour cette élection, c’est qu’ils ne sont pas seuls à se présenter à la mairie de Montréal pour les quatre prochaines années. En effet, il y a huit autres candidats qui se lancent dans la course, et l’un de ceux-ci, Balarama Holness, a fait couler beaucoup d’encre avec une déclaration pour le moins surprenante. Il veut tenir un référendum à Montréal concernant la langue officielle de la Ville.

Lors d’une mêlée de presse, le chef de Mouvement Montréal, Balarama Holness, a expliqué qu’il souhaitait que Montréal soit reconnue comme une ville bilingue. Il a indiqué qu’il envisage de faire « reconnaître Montréal comme une ville bilingue tout en valorisant et en préservant la langue et la culture francophone dans la ville. »

Cette idée a été une véritable bombe pour son parti, puisque huit candidats ont préféré se retirer sur le champ, en plus du co-chef de Mouvement Montréal, Marc-Antoine Desjardins, qui n’était absolument pas d’accord avec lui.

Montréal bilingue

« Je suis surpris que ça [faire de Montréal une ville bilingue] n’ait pas été proposé plus tôt », dit Jean-François Lisée qui affirme être très inquiet de la situation du français à Montréal. En 1977, la loi 101 a fait du français la langue officielle du gouvernement du Québec et de la société québécoise. Toutefois, sur l’île de Montréal, 63 % des entreprises exigeaient en 2018 des compétences linguistiques en anglais contre environ 38 % pour le reste du Québec, selon une étude publiée en août 2021 par l’Institut de la statistique du Québec. « Ce qu’il faut constater, c’est qu’il y a un problème, explique la professeure à l’École des médias de l’UQAM et ancienne journaliste d'enquête, Kathleen Lévesque. Cela a été documenté et observé que c’est beaucoup plus difficile de se faire servir en français. Le "bonjour-hi" n’est pas juste une blague, c’est vrai. Comme minorité en Amérique, on est dans une mer anglophone, on doit protéger la culture et nos valeurs fondamentales. »

L'évolution du français à Montréal selon Jean-François Lisée

La proportion des entreprises montréalaises qui pratiquent un bilinguisme intégral est d’ailleurs ce qui inquiète le plus Jean-François Lisée. « Il y a près de deux tiers des entreprises à Montréal où le français et l’anglais sont sur le même pied d’égalité et qui affirment que le français n’est pas la langue commune, mais pas du tout », affirme M. Lisée. La notion que Montréal devrait assumer son bilinguisme circule dans les milieux montréalais depuis des décennies, car la majorité des non-francophones n’ont jamais accepté le français comme langue commune et acceptent seulement l’idée du bilinguisme selon l’ancien chef du Parti québécois.

« C’est ce qui fait que Balarama Holness n’est pas une “anomalie”, c’est le signe de l’existence d’un courant très fort du refus du français et que l’anglais soit une langue commune aussi, continue-t-il. On sait bien que dans une réunion majoritairement francophone avec un anglophone qui ne parle pas le français, tout le monde va parler anglais. La situation se détériore rapidement et malheureusement, la loi 96 ne permet pas de redresser la situation. »

Le cas du projet de loi 96

La loi 96, de son nom officiel « la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français », est un projet de loi déposé à l’Assemblée nationale du Québec en mai 2021 par le député caquiste et ministre responsable de la Langue française Simon Jolin-Barrette. Cette motion viendrait apporter des modifications à la Charte de la langue française. Le projet de loi est loin de faire l’unanimité au Québec.

Lors d’une entrevue avec La Presse en date du 2 novembre, M. Holness a déclaré : « On peut dire que ma bataille pour les enjeux linguistiques, c’est une rébellion contre le projet de loi 96, et contre le fait que nous ne sommes pas nécessairement acceptés dans le cadre démocratique à Montréal. Si vous ne voulez pas m’accepter, moi, je vais aller trois fois plus loin. »

Pour Jean-François Lisée, même si Montréal est officiellement francophone, ça ne change pas grand-chose dans le réel parce que la ville offre des services en anglais à tous ceux qui le demandent. « C’est là où il y a un débat sur la loi 96 qui essaie de réduire le service en anglais et dans les municipalités », dit-il. C’est pourtant un enjeu mineur de la campagne parce que M. Coderre veut pouvoir donner des services en anglais à tous ceux qui le demandent, alors que Mme Plante est en accord avec la constitution, mais veut discuter des modalités.

« La loi 96 ne s’attaque pas aux bonnes choses, ce n’est pas inutile, mais c’est secondaire », explique Jean-François Lisée. Il propose deux solutions qui, selon lui, seraient les meilleures pour protéger le français au Québec et à Montréal. « La première chose à faire, c’est de copier les exigences linguistiques du Royaume-Uni pour l’anglais et l’appliquer au Québec pour le français. C’est-à-dire que si vous voulez déménager, travailler, étudier, au Royaume-Uni vous devez démontrer la réelle connaissance linguistique de l’anglais avant de venir. » Il explique qu’il y a un programme qui existe pour financer les cours de français des candidats à l’immigration. Si le cours est réussi, il est remboursé.

La deuxième solution de M. Lisée est de faire en sorte qu’une réelle connaissance du français soit une condition à l’obtention du diplôme dans les établissements d’études supérieures anglophones. « C’est les deux principales choses à faire, mais ni l’une ni l’autre n’est faite avec la loi 96 », déplore Jean-François Lisée.

Le ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, a été appelé à commenter la tenue d’un possible référendum proposé par Balarama Holness.

Vidéo envoyée par Élisabeth Gosselin, attachée de presse du ministre Simon Jolin-Barrette.

Élections à Montréal

Une question demeure : est-ce vraiment réaliste de la part de M. Holness de promettre un référendum ? Selon Pierre Prévost, professeur associé au département de science politique de l’UQAM, des élections de type « référendaire » où le maire avance que s’il est réélu, il fera telle ou telle chose, sont du déjà-vu. Cela permet de donner plus de force à un mandat plutôt que de devoir diluer l’appui des électeurs sur une dizaine de sujets, a-t-il expliqué. Les villes ont le pouvoir de faire des référendums dans leurs champs de compétence et rien n’interdit que ce référendum soit tenu le jour de l’élection.

Le seul problème dans la promesse de Balarama Holness est que ce n'est pas du ressort d'une ville de décider si un territoire municipal échappe à l'application d'une loi générale, la loi 101 dans ce cas-ci. « Il faut savoir que c’est l’Assemblée nationale qui a statué que la Ville de Montréal est une ville de langue française, il est écrit à l'article 1 de la Charte de la Ville de Montréal », explique Pierre Prévost.

Toutes les personnes interviewées s'entendent pour dire que le chef de Mouvement Montréal ne semble pas être une réelle menace, autant pour la langue française que pour les autres candidats. « S’il avait su que ça ne lui aurait apporté aucun élan et aucun appui, puisque c’est ça qui arrive, je ne crois pas qu’il aurait pris cette stratégie-là », affirme Kathleen Lévesque.

Toutefois, il peut faire mal à un candidat. Selon M. Lisée, M. Holness est indéniablement plus l’ennemi de M. Coderre que de Mme Plante. « Je crois qu’elle aurait pu être réélue même s’il n’y avait eu que deux candidats, c’est essentiellement une lutte contre Coderre, dit Jean-François Lisée. Holness a un réel impact, mais les autres non. »

« Ce qui est dommage pour Valérie Plante, c’est que je crois qu’elle aurait aimé gagner sans que le vote de Coderre soit divisé par Holness pour avoir une victoire encore plus franche, conclut-il. Mais une victoire, c’est une victoire. »