Des paris sportifs de plus en plus payants
Par Jérémy L’Allier et Frédéric Rondeau
« Tous les Québécois comme moi savent que tous les matchs commencent sur Bet99.net », a répété Georges St-Pierre dans des publicités du site de paris sportifs Bet99. Cette phrase a été entendue si souvent qu'elle a été parodiée au Bye Bye 2021. Depuis la pandémie, les paris sportifs en ligne sont en pleine ascension, au point où même Loto-Québec mise sur le phénomène, selon nos demandes d'accès à l'information.
Au mois d'août 2021, le projet de loi C-218 a été adopté. La Loi sur le pari sportif sécuritaire et réglementé a modifié le Code criminel canadien afin de légaliser les mises sur un seul match. Auparavant, il était seulement possible de placer un pari sur deux matchs ou plus en même temps. Le fait de parier sur un seul événement sportif à la fois donne une plus grande possibilité de gagner de l'argent au parieur.
Depuis que la nouvelle loi est en vigueur, les ventes de Mise-o-jeu, la loterie de Loto-Québec spécialisée dans les paris sportifs, ont augmenté de 76%, selon le rapport annuel 2021-2022 de la société d'État. Louis Beaudet, directeur de paris sportifs et de divertissement chez Loto-Québec, affirme en entrevue que le fait d'offrir des paris simples a permis de « mieux compétitionner devant les opérateurs illégaux ». Il n'a pas voulu élaborer davantage sur ce que représente l'augmentation de 76% pour des raisons stratégiques. Il explique que le projet de loi C-218 a joué un grand rôle dans l'augmentation des ventes.
Rappelons que Mise-o-jeu de Loto-Québec est la seule plateforme légale au Québec pour parier.
Des publicités abondantes
Stéphane Gonzalez, animateur de l’émission Gages-tu?, sur les ondes de TVA Sports, compte plusieurs années d'expérience dans le domaine des paris sportifs. Selon lui, le sujet est tabou. Plusieurs de ses collègues dans le domaine refusent même catégoriquement de parler de paris sportifs.
L’industrie des paris sportifs va continuer à croître dans les prochaines années, selon l'animateur. Il affirme avoir été témoin de nombreux changements dans l’industrie au cours des dernières années, surtout depuis l’application de la loi
C-218.
Par exemple, l'évolution de la technologie a joué un grand rôle dans l’explosion de l’industrie des paris sportifs. Avant l'arrivée d'Internet, Loto-Québec était la seule option accessible pour parier. Aujourd'hui, des sites de paris sportifs en ligne comme Mise-o-jeu +, Bet99 et Bet365 permettent de faire des mises en direct sur des matchs. Ainsi, il est possible de prédire qui va marquer le prochain but d’une partie déjà entamée.
Nous sommes loin de l'époque où M. Gonzalez recevait les cotes par télécopieur et appelait un bookmaker pour placer ses choix.
« La multiplication et la légalisation des différentes plateformes ont amené plus de joueurs à investir dans le marché québécois et canadien. C’est là qu’on a vu l’overdose de la publicité des paris sportifs. Ils [les sites de paris sportifs en ligne] ont des enveloppes budgétaires à dépenser. Les gens les voient plus, on en parle plus », explique Stéphane Gonzalez.
Alors que plusieurs médias traditionnels sont en crise, il indique que les diffuseurs seraient mal placés de ne pas accepter l’argent des plateformes de paris sportifs alors que l’achat de publicité télévisuelle se fait de plus en plus rare.
Les sites de paris sportifs rivalisent de créativité pour trouver des manières de faire de la publicité. On les voit même sur les bandes du Centre Bell. Cette forte présence publicitaire serait à l'origine d'une entente de Loto-Québec avec les diffuseurs télévisuels afin de bloquer les publicités de sites de paris sportifs comme Bet99.
Pour contourner cet obstacle, M. Gonzalez affirme que Bet99 serait sur le point de lancer une boisson énergétique. Selon lui, cela permettrait à l’entreprise de continuer à être présente dans l’espace médiatique. Il faut rappeler que la publicité de plateformes de paris sportifs illégales comme Bet99 n'est pas permise au Canada. Ces plateformes réussissent à contourner les règles en partageant une version gratuite de leur site web dans leur publicité (.net) et ensuite rediriger les gens vers la version payante du site (.com).
Les ventes en augmentation constante
Une demande d’accès à l’information effectuée à Loto-Québec donne pour la première fois un aperçu de la croissance des paris sportifs au Québec au cours de la dernière décennie.
Les ventes de paris sportifs ont considérablement augmenté depuis la création de la plateforme Mise-o-jeu, en 2012. Il faut savoir que de nouvelles normes comptables chez Loto-Québec ont été appliquées à partir de 2018, ce qui rend difficile la comparaison entre les années 2012 à 2017, d'une part, et 2018 à 2022, d'autre part. Ces nouvelles normes ont diminué les ventes totales de Loto-Québec, ce qui laisse penser que l'augmentation des paris sportifs serait encore plus importante.
Il faut aussi tenir compte de la COVID-19, qui a forcé toute les ligues sportives à mettre un terme à leurs activités pendant la pandémie, ce qui explique l'importante diminution notée au cours des années 2020 et 2021.
En 2018, Loto-Québec a lancé une nouvelle plateforme de paris exclusivement en ligne nommée Mise-o-jeu+. Avec la plateforme classique Mise-o-jeu , il faut aller dans un point de vente de Loto-Québec afin de valider ses choix.
En comparaison, Mise-o-jeu+ permet de valider ses choix à distance à l’aide d’une application mobile. Cette application vient combler un besoin qui était très grand chez Loto-Québec : le fait de pouvoir parier sur un match en direct. De plus, les cotes de Mise-o-jeu+ sont beaucoup plus avantageuse et permettent de mieux rivaliser avec les sites illégaux que la plateforme classique Mise-o-jeu.
Un marché illégal difficile à estimer
En ce qui concerne la part des ventes des plateformes de paris sportifs autres que Mise-o-jeu, il est assez difficile d'obtenir un chiffre pour le Québec. Louis Beaudet de Loto-Québec mentionne qu’il a une idée de la part que possèdent leurs concurrents, mais ne s'est pas avancé sur un nombre.
« C’est difficile à mesurer puisque c’est illégal [...]. Il y a de plus en plus de compagnies publiques cotées en bourse qui vont publier leurs chiffres, mais ce ne sera pas segmenté nécessairement par pays ou par province. C’est clairement quelque chose qu’on regarde avec attention », affirme M. Beaudet.
Il est toutefois possible de trouver des chiffres pour le Canada. Selon une étude réalisée en 2019 publiée sur le site de la Canadian Gaming Association, le chiffre d'affaires annuels des sites illégaux pour les paris sportifs au Canada s’élèverait à 10 milliards de dollars canadiens.
Encore plus à prévoir
Dans l’avenir, Stéphane Gonzalez prévoit que l’industrie des paris sportifs prendra encore plus d’ampleur : « Je suis curieux de voir si le pari sportif ne deviendra pas le prochain moitié-moitié ».
De son côté, Loto-Québec ne compte pas laisser toute la place au crime organisé. La société d'État a lancé un projet-pilote avec la mise en place d’un salon de jeu au Casino du Lac-Leamy, s’inspirant des sportsbooks américains. Il permet de faire des paris sportifs à l’intérieur du casino.
Le Centre Bell accueillera aussi un salon de jeux avec des bornes de paris sportifs. Louis Beaudet prévoit enfin le déploiement de salons de jeux supplémentaires dans d’autres casinos, ce qui laisse présager que les paris sportifs sont loin d’avoir atteint leur apogée.