Prédire le résultat d'une élection : un marathon plutôt qu'un sprint
Les chaînes de télévision de Radio-Canada et TVA devront rectifier le tir après s’être prononcées trop rapidement sur le résultat de l’élection de la Ville de Québec, dimanche soir, en déclarant la candidate Marie-Josée Savard, mairesse à tort.
Heureuse de cette «victoire», Mme Savard prononce son discours de victoire, sans se douter que son règne ne durerait que quelques heures. Après une remontée in extrémis, c’est finalement Bruno Marchand qui l'emporte par 834 voix.
Le dépouillement des votes est terminé, c'est finalement Bruno Marchand qui est élu maire de la ville de Québec, avec une avance de 834 voix.#polmun #villedequebec pic.twitter.com/y1YwKhSJw6
— ICI Québec (@iciquebec) November 8, 2021
Les élections à la Ville de Québec comportent de nombreux enjeux. Le maire de la capitale Régis Labeaume a tendu le flambeau de la ville après 14 ans au pouvoir. D’importants dossiers, comme le tramway et le troisième lien, devront être gérés prochainement en collaboration avec le gouvernement du Québec.
Comment les médias ont-ils pu se tromper?
«Notre bureau de décision a suivi le processus habituel rigoureusement», explique Radio-Canada dans un communiqué de presse. D’ailleurs, ce processus est utilisé pour les élections fédérales, provinciales et municipales au Canada, et ce, au cours des dernières années.
La Société, après discussions avec le Bureau du président d’élection de la Ville de Québec, détermine que la tendance a changé rapidement. Les calculs basés sur les premiers votes dépouillés ont pointé vers la victoire de Mme Savard. Toutefois, l’échantillon de données ne représentait que les votes par anticipation. Il n’y avait que près de 300 des 1502 boîtes de dépouillées au moment de l’annonce.
Ce n’était pas assez pour déterminer l’issue de cette soirée électorale. Les algorithmes, en raison du manque d’informations nécessaires, n’ont pas été en mesure de déceler qu’une tendance inverse se dressait à l’horizon.
Prioriser la prudence à la rapidité
Déclarer Marie-Josée Savard mairesse de la Ville de Québec à 20 h 28 est une lame à double tranchant. Les différents médias québécois se livrent une course aux clics et donc, annoncer une nouvelle en premier est important. Cependant, une fois l’alerte lancée, impossible de faire marche arrière.
«Ce qui est important, c’est la véracité des faits avant la rapidité», explique Patrick White, directeur du programme de journalisme à l’Université du Québec à Montréal. «Ça l’a toujours été dans l’ADN des médias de sortir la nouvelle rapidement, mais, avec des vérifications vraiment intensives des faits», ajoute l’ancien rédacteur en chef du Huffington Post.
Par contre, se prononcer rapidement sur une nouvelle importante n’est pas une nécessité absolue, puisque les médias ont accès aux données tout au long de la soirée. «Les médias peuvent alors traiter l’information tout au long de la soirée électorale, après la fermeture des lieux de vote», explique par courriel la porte-parole officielle d’Élections Québec Julie St-Arnaud Drolet.
Ainsi, M. White estime que TVA n’aurait pas dû suivre Radio-Canada et être plus prudente. Il n’aurait fallu que quelques minutes supplémentaires pour constater que la tendance s’inverse. «On a quand même déclaré gagnante pendant 3 heures quelqu’un qui, finalement, ne sera pas mairesse de la Ville de Québec […] ça ne doit pas être facile à vivre, à gérer ça et d’avoir infligé ça à quelqu’un», renchérit-il.
Deux fois plutôt qu'une
Une telle erreur s’est produite à Montréal, plus précisément dans le quartier Côtes-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce (CDN-NDG).Dimanche, en soirée, le candidat d’Ensemble Montréal, Lionel Perez, a été déclaré maire de cet arrondissement. Revirement de situation le lendemain de l’élection, c’est plutôt Gracia Kasoki Katahwa de Projet Montréal qui remporte la course. Le tout s’est joué par 83 votes.
Après une chaude lutte, la candidate Gracia Katahwa de Projet Montréal remporte la mairie de CDN-NDG, défaisant le candidat Lionel Perez, d'Ensemble Montréal et qui était chef de l'opposition à Montréal depuis 4 ans pic.twitter.com/71aNbduy4l
— Pa Normandin (@PaNormandin) November 8, 2021
Les médias n’auront pas le choix de revoir leur processus décisionnel. L’une des solutions, en attendant qu’il n’y ait aucune marge d’erreur possible, serait d’y aller avec une formulation passive, par exemple : «si la tendance se maintient, ce candidat ou cette candidate sera élu maire ou mairesse d’une ville».
«Il n’y a pas une grosse différence [entre cette formulation et la proclamation utilisée dimanche soir], mais avec celle-ci, tu ouvres une porte ouverte peut-être au fait que ce n’est pas joué encore», estime Patrick White.
Les médias s’excusent

«Notre système n’est pas infaillible, mais ce qui s’est passé hier demeure une situation exceptionnelle», explique Radio-Canada, qui assure de réexaminer son processus de décision.
Dans un courriel transmis à La Presse, TVA se dit désolée de cette situation regrettable et procèdera à un examen au cours des prochains jours, comme le feront les autres médias.
Malgré les excuses de Radio-Canada, TVA et d’autres médias qui se sont trompés, beaucoup de gens ont été induits en erreur par cette annonce précipitée.