L'héritage de Joyce : un an après
Le 28 septembre 2020, Joyce Echaquan, une femme atikamekw, est décédée seule dans sa chambre d’hôpital, persécutée par des commentaires racistes et négligée par le personnel infirmier.

Une centaine de personnes se sont tenues debout pour Joyce Echaquan mardi soir à l’occasion d’une vigie organisée en son hommage, un an jour pour jour après son décès.
Au moment d’allumer les bougies en la mémoire de Joyce, le soleil commençait à se coucher et tirait vers le mauve. Le même mauve que la banderole où on pouvait lire « Uni. e. s pour Joyce » et celui-là même qu’on retrouvait sur les foulards noués autour des bras de certains membres de la communauté atikamekw. Entre deux témoignages, un enfant a levé les yeux vers le ciel, a tiré la manche de sa mère, et s’est écrié « C’est Joyce ! »
Plus tard, des lanternes ont été relâchées dans le ciel, qui avait maintenant une teinte d’aurore boréale. Dans la tête des proches de Joyce, il n’y avait plus de doute : elle était parmi eux, animée par sa force et son courage.
Une fille, une mère, une conjointe, une amie pour toute une nation
Assis sur leurs chaises, les parents de Joyce ont filmé la cérémonie avec leurs cellulaires. De temps à autre, une main bienveillante venait s’appuyer sur l’épaule de la mère. « Moi, je dois vivre la perte de ma fille à travers le regard de mes petits-enfants, a-t-elle confié à la foule. Je demande au premier ministre de se lever et aux femmes de dénoncer les abus dont elles sont victimes. »
« À travers vos yeux, à travers votre visage, à travers vos émotions, j’ai appris à connaître Joyce et à l’aimer », a confié à la famille la sénatrice Michèle Audet d’une voix brisée par l’émotion. Elle n’a connu Joyce qu’à travers leur souffrance, pourtant elle s’y est profondément attachée, comme beaucoup d’autres femmes autochtones.
Le rassemblement au parc Émilie-Gamelin, à Montréal, n’a pas été le seul à avoir lieu ce jour-là. Plusieurs villes, notamment Joliette et Trois-Rivières, ont tenu à commémorer la mort de Joyce Echaquan, survenue un an plus tôt. C’est tout le Québec qui était en deuil mardi.
L’héritage de Joyce
Il y a un an exactement, Joyce Echaquan est décédée seule dans sa chambre d’hôpital, entourée de haine plutôt que d’amour. Dans les moments qui ont précédé sa mort, elle a filmé une vidéo dans laquelle certaines infirmières faisaient preuve de racisme à son égard. Racisme qui l’empêchera d’avoir accès aux soins de santé adéquats.
« Une fois qu’on a vu la vidéo, on ne peut pas prétendre que ça se passe ailleurs. Ça se passe à côté de Montréal, à Joliette ! Ce n’est pas juste dans l’ouest d’un pays, ou dans le nord d’un pays, c’est aussi ici », a déclaré Michèle Audet.
La vidéo, rapidement devenue virale, a donné le courage à plusieurs femmes autochtones de dénoncer les abus dont elles ont été victimes. « Ce que Joyce nous a légué, à nous, les femmes, c’est de prendre conscience de ce que sont le racisme et la discrimination systémique. Elle nous a enseigné que nous avions des droits : ceux de dénoncer et de porter plainte, ainsi que le droit à la justice », a écrit Viviane Michel, présidente de l’association Femmes Autochtones du Québec, dans une lettre lue à voix haute par une collègue.
« Je veux d’une société où nos enfants seront bien dans leur identité, où ils n’auront plus honte de leur langue et de leur nation », a proclamé Constant Awashish, grand chef de la nation atikamekw.
L’infirmière Paule Rocray radiée pour un an
L’Ordre des infirmiers et infirmières du Québec (OIIQ) a conclu, dans un rapport rendu mardi, que l’infirmière Paule Rocray avait fait preuve de violence verbale et de négligence à l’égard de Joyce Echaquan. La famille dit mal digéré que l’OIIQ ait choisi le jour de la commémoration pour annoncer la nouvelle.
« Le moment qui a été choisi pour faire cette annonce-là démontre certainement un manque de sensibilité de la part de l’Ordre », a commenté l’avocat et ami de la famille, Patrick Martin-Ménard.
Quant à Michèle Audet, elle a livré un témoignage particulièrement émouvant sur la question. « Ils auraient pu rencontrer la famille pour expliquer leurs raisons et leur décision. Si on dénonce un système de racisme systémique, pourquoi on oublie d’appeler le père, le conjoint, la mère ou la nation ? » La foule, jusqu’ici silencieuse, a conclu ce discours sous un tonnerre d’applaudissements.
La famille tente de faire comprendre que la discrimination qu’a subie Joyce n’est pas un cas isolé. Des enfants hospitalisés ne sont jamais rentrés chez eux, des femmes ont été stérilisées sans leur consentement. Des filles ont disparu ou ont été assassinées. Il faut continuer de lutter, de faire valoir des droits qui sont censés être acquis pour tous. Tel est l’héritage de Joyce Echaquan.