Les mèmes politiques à l’assaut des élections
Les mèmes, produits d'Internet créés à des fins humoristes ou de parodie, se sont invités dans le débat électoral des dernières semaines.

À l’approche des élections fédérales, les mèmes politiques se multiplient sur les réseaux sociaux. Avec humour, ils dénoncent, critiquent et tournent en dérision les candidats, leurs partis et leurs idées.
« C’est une page un peu campée à gauche, pas mal campée à gauche en fait », explique Maxime en riant. Maxime (qui ne souhaite pas divulguer son nom de famille) est administrateur de la page Facebook l’Actualité en Memes. Plusieurs fois par jour, il poste du contenu humoristique en lien avec la politique.
Les élections fédérales sont pour lui le terrain de jeu idéal pour laisser libre sa créativité. « Je m’amuse beaucoup, mais je fais attention à ce que le jupon du parti pour lequel je vais voter ne dépasse pas trop. Je fais passer des valeurs de gauche, mais je pense qu’il est difficile de dire pour qui je vote. »
À voir : À l’origine des « mèmes », France Culture
Vincent Houde, l’un des quatre administrateurs du compte Instagram @memefruiter, pour sa part ne se cache pas : « on est orange partout, assume-t-il. On ne se considère pas comme un média qui doit être impartial, on fait ce qu’on veut et on ne se gêne pas d’afficher nos couleurs. » Le jeune homme reconnaît se sentir moins concerné par les élections fédérales que par la politique québécoise. « Quand on approche des élections on va plus utiliser les figures et les personnages pour jouer avec, mais on est moins porté à prendre position parce qu’on se sent loin », avoue-t-il.
Inspiration
« Aussitôt qu’il y a un faux pas en politique, ça paye », constate Vincent. Toujours à l’affût, les créateurs se doivent d’être réactifs. Beaucoup de mèmes ont une durée de vie extrêmement courte. Habitués à l’instantanéité, les internautes s’attendent à un renouvellement constant.
« C’est fascinant de voir à quel point les gens qui créent des mèmes connaissent les choses qu’ils veulent dénoncer. Ils suivent la politique, ils en connaissent tous les détails », affirme Mireille Lalancette, professeure agrégée en communication sociale à l’Université du Québec à Trois-Rivières à la Presse.
« Dans la meme game*, on peut utiliser des templates* connus, mais la plupart du temps j’essaye de créer du matériel avec de nouvelles images pour produire des templates* québécois qui pourront à leur tour être repris », explique Maxime.
À voir : le Fast and curious de l’Actualité en Memes
Médias et parodies
Ces dernières années, de faux médias ont vu le jour proposant des articles et des unes parodiques. Riant tantôt des figures politiques, tantôt des journaux eux-mêmes, les pages comme Le Revoir (aujourd'hui fermée) ou Empire K ont participé à la popularité des mèmes d’actualité.
Depuis peu, les médias traditionnels s’y mettent également. L’équipe de Rad utilise régulièrement des mèmes pour alléger son contenu et le rendre plus attrayant pour les jeunes. « Dans le respect des normes de déontologie de Radio-Canada » et « tant que ça n’altère pas le travail journalistique », précise le journaliste Mathieu Papillon lors d’une présentation à l’UQAM.
Le public le plus friand de mèmes, constitué en majorité de 18-34 ans, délaisse les médias traditionnels. Selon une enquête du Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations (CEFRIO) partagée par Le Devoir, 60 % d’entre eux consultent les réseaux sociaux pour trouver leurs informations.
Influence sur les jeunes
Pour Vincent, les mèmes permettent à ces jeunes adultes — qui représentent près de 90 % de son audience — de s’intéresser à la politique. « C’est un bon point de contact pour ceux qui ne consomment que du divertissement, » assure-t-il.
En altérant les mèmes accessibles et plus nichés, la page Facebook de Maxime touche un large public plus ou moins informé. Afin de comprendre ses blagues, ses abonné.es doivent se tenir au courant l’actualité.
Maxime est conscient que ses mèmes ne changeront pas leurs convictions. « Mon but n’est pas d’influencer, c’est de rassembler des gens qui ont des points de vue politiques semblables», précise-t-il.
« Un mème ce n’est pas un format ou tu peux t’appliquer en 200 mots, c’est une quinzaine de mots maximum. Faire passer un message politique de façon claire n’est pas évident, c’est plus souvent des blagues en surface », concède Vincent.
Provoquer une réflexion
« Mes mèmes sont drôles, mais il faut donner du crédit à mes followers* qui sont vraiment très drôles dans les commentaires, avoue Maxime. Ils embarquent dans le jeu, et font des variations. C’est pas juste les mèmes, c’est la communauté qui vient avec. »
Sa communauté est « la meilleure de toutes» selon lui. « ils ne s’envoient pas promener, et il y a même des gens de droite qui viennent débattre de manière intelligente et respectueuse.»
“Le caractère inédit des mèmes repose sur la participation potentielle de chaque internaute, qui retrouve sur internet et les réseaux sociaux un espace public aux possibilités communicationnelles et virales sans précédent,” analyse Alexis Auger, finissant à la maitrise en sociologie à l’Université de Montréal.
Sur Instagram, l’administrateur de @memefruiter éprouve plus de difficultés à conserver un espace de discussion poli. Malgré un gros travail de modération, il préfère parfois s’éloigner des sujets politiques afin d’éviter les échanges « haineux » ou « violents ».
Cibles favorites
Chacun des deux créateurs a ses cibles favorites.« Maxime Bernier n’est même pas à considérer cette année, mais il est très facile d’en rire », convient Vincent. Maxime de l’Actualité en Memes quant à lui aime se moquer de Yves-François Blanchet ainsi que de Justin Trudeau, en particulier de son absence de « programme solide ».
Vincent est ferme sur un point : il ne souhaite pas faire de mème sur le chef du Bloc Québécois. « On passe à côté de plein d’opportunités dont on pourrait parler, mais on ne veut pas lui donner d’attention avec toutes les allégations autour de lui. Il n’a pas sa place dans la campagne. Même si on en parlait mal, ce serait juste lui accorder de l’importance au final.»
Malgré leur inventivité, les deux hommes éprouvent des difficultés à se moquer de Jagmeet Singh. « C’est le pire, il est trop parfait. C’est un personnage cool, il fait des Tik Tok. J’ai bien de la misère à frapper sur lui», explique Maxime. « Jagmeet Singh est une figure très présente sur les médias et extrêmement charismatique », ajoute Vincent.
Le compte Tik Tok de Jagmeet Singh comptabilise plus de 842 000 abonnée.es : thejagmeetsingh
Le mème objet de communication du futur
Le NPD reprend beaucoup de codes de la culture internet pour attirer les jeunes. Grâce à leur viralité, les mèmes participent à la circulation des messages politiques et les partis commencent à les utiliser comme outils de communication.
En 2015, le parti conservateur a utilisé des mèmes se moquant de Justin Trudeau durant sa campagne. « Je ne votais pas conservateur, mais j’avais suivi la page parce qu’ils faisaient de très bons mèmes, se remémore Vincent. Autant ça peut t’enlever de la crédibilité parce que tu fais des choses qui sont moins sérieuses, mais ça vient chercher le vote des jeunes.»
Vincent en est convaincu, dans quelques années tous les partis s’y mettront : «aujourd’hui ça a un peu l’air niaiseux, mais c’est le futur », affirme-t-il.
*anglicisme