Les défis de la candidature indépendante

Les défis de la candidature indépendante
Ariane Beaudin et son responsable à la technique, Pablo, préparent une assemblée de quartier organisée au parc Lalancette

Nous sommes sept personnes assises en cercle, les fesses sur le gazon, par un dimanche nuageux d’octobre. « Quelles sont les trois enjeux qui vous tiennent le plus à cœur concernant le district d’Hochelaga ? », lance Ariane Beaudin, le sourire aux lèvres. S’ensuit un court moment de flottement, après quoi un premier participant se lance. Cet après-midi-là, au parc Lalancette, on est loin de la politique flamboyante de l’Assemblée nationale.

L’évènement qui a lieu est en fait une assemblée de quartier organisée par la candidate indépendante au poste de conseillère de ville dans le district d’Hochelaga, Ariane Beaudin. La candidate de 23 ans, qui étudie en animation culturelle à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et qui s'identifie comme personne non binaire, s’est lancée dans la course avec les moyens du bord et tente d’entrer en contact avec les résidents du quartier sans une grosse machine électorale pour la soutenir. Sa candidature se revendique queer et anti-capitaliste.

Pendant environ 1h30, Ariane a sondé les personnes présentes sur leurs préoccupations concernant la vie de quartier

Sont présents Pablo, son ami et « responsable de la technique », comme elle l’appelle en riant, ainsi qu’un électeur qui l’a connue grâce aux réseaux sociaux. Deux autres de ses ami.e.s assistent également à l’assemblée, et nous sommes deux étudiantes en journalisme à nous présenter.

La maigre foule ne diminue pas l’enthousiasme d’Ariane : elle sonde les personnes présentes et prend leur pouls concernant des dossiers politiques importants dans le quartier, comme l’aménagement d’un terrain vague, ou encore la gentrification. L’ambiance est détendue et sans prétention.

L’inconnu

« C’est un peu rock n’roll de se présenter comme candidate indépendante, tu n’as personne pour te coacher », lance d’entrée de jeu Ariane en entrevue exclusive avec L’Atelier avant l’assemblée de quartier. Militante au sein d’associations étudiantes depuis des années, Ariane a voulu se lancer en politique pour défendre les enjeux qui touchent les groupes marginalisés. Mais elle a rapidement constaté que mener une campagne toute seule a un prix qui n’est pas uniquement monétaire.

« Ma campagne n’est pas à la hauteur de mes attentes, je voudrais m’investir davantage, mais ma priorité est de respecter ma santé mentale. Et en ce moment, c’est difficile », explique-t-elle. En plus de travailler environ 25 heures par semaine et de suivre un cours à l’université, l’étudiante est la seule à élaborer sa stratégie de campagne. Ce qui a mené à des méthodes pour le moins insolites.

« J’ai utilisé Tinder pour faire du porte-à-porte virtuel, mais ça contrevenait aux règlements de l’application, donc j’ai été bannie de Tinder », se souvient-elle en éclatant de rire.

Travail de terrain

Ariane Beaudin n’est pas la seule jeune à tenter sa chance comme candidate indépendante aux élections municipales. Tout juste au nord, l’étudiante de 21 ans Juliette Côté-Turcotte mène campagne pour un poste de conseillère de ville dans le district De Lorimier. Elle me donne rendez-vous lors d’une séance de porte-à-porte, un lundi soir de septembre.

« C’est mon premier porte-à-porte », mentionne-t-elle d’entrée de jeu, un brin nerveuse. Elle est accompagnée de son directeur de campagne, un étudiant en sciences politiques rencontré à l’université. Toute son équipe est constituée d’ami(e)s de son âge, et son agente officielle est sa mère. Bien que moins radicale que celle d’Ariane Beaudin, sa plateforme comporte plusieurs propositions pour une ville féministe intersectionnelle ou pour « changer la culture policière ».

La jeune candidate Juliette Côté-Turcotte a arpenté la rue de Brébeuf toute une soirée en compagnie de son directeur de campagne pour présenter sa plateforme aux électeurs et aux électrices du Plateau-Mont-Royal. 

Le porte-à-porte commence. La plupart des gens se montrent réceptifs ; plusieurs électeur(rice)s lui émettent des mots d’encouragement et lui promettent d’aller lire sa plateforme en ligne. D’autres entre-ouvrent la porte et la referment rapidement en constatant qu’il s’agit d’une politicienne. Juliette ne perd pas son enthousiasme pour autant.

« Je n’avais pas de budget pour imprimer des cartes d’affaires, alors j’ai imprimé des feuilles avec mes coordonnées, je les ai collées sur du carton et je les ai découpées à l’exacto », m’explique-t-elle en me montrant ses cartes d’affaire fait maison. Tout faire par soi-même : voilà la réalité d’une politicienne qui n’est pas épaulée par un parti.

« Je suis fière d’être indépendante », souligne-t-elle, ajoutant même qu’elle a refusé les approches de l’équipe de Denis Coderre qui tentait de la recruter. « Mais on dirait que ça me revient tout le temps dans la face que je n’ai pas le même soutien que les partis, notamment en ce qui a trait aux bénévoles ou aux centres d’appel. Parfois, j’ai un sentiment d’impuissance », soupire-t-elle.

Un électeur la retient pendant une dizaine de minutes sur son balcon en lui débitant toutes sortes de propos décousus. Juliette l’écoute, patiente, et répond à ses questions. En nous rejoignant sur le trottoir, elle nous adresse un sourire las. Mais il en faudra plus que ça pour l’arrêter. « Que je sois élue ou pas cette fois-ci, je compte bien me représenter en 2025 », confirme-t-elle.

Les bémols

Des candidatures comme celles de Juliette Côté-Turcotte et d’Ariane Beaudin demeurent une exception. Aux élections municipales montréalaises, ce sont les partis qui ont la cote, pas les candidat(e)s indépendant(e)s. La professeure de géographie à l’UQAM Anne Latendresse voit ce paradigme d’un bon œil : « Pour moi, une personne qui se présente individuellement, c’est comme si elle concevait la politique comme un rapport individuel, pratiquement dans une perspective où l’habitant serait un citoyen payeur de taxes et que le rôle de l’organisation est de fournir des services. »

Elle rappelle que le rôle des membres d’un parti est de contribuer à élaborer les politiques et de forcer les élu(e)s à rendre des comptes. « Un candidat indépendant n’a pas cette notion-là puisqu’il n’a pas de groupe derrière lui. Il y a donc un affaiblissement de la démocratie dans cette perspective », soutient Anne Latendresse.

Elle donne en exemple la ville de Rimouski qu’elle a visitée avec ses étudiant(e)s l’année dernière et où les conseiller(ère)s de ville sont indépendant(e)s. « La ville a mis en place un budget participatif, mais ce sont les élu(e)s qui le négocient entre eux et elles et qui le ramènent ensuite au conseil municipal. Les citoyens et citoyennes n’ont pas le droit de parole et le maire a beaucoup plus de pouvoir que les autres », se désole-t-elle.

Si plusieurs trouvent donc leur compte dans le fait de se présenter comme indépendant(e), d’autres ne voient pas du même œil cette manière de faire de la politique.