Le quartier survivra: Yes we crack!
La pandémie a exacerbé l'évolution du tissu urbain dans le Quartier latin

Ysann Paris
Si à Montréal la crise sanitaire semble avoir exacerbé certains phénomènes complexes tels que l’itinérance, la consommation d’opioïdes, la violence physique et verbale et donc l’insécurité, c’est d’autant plus le cas dans certains quartiers. En effet, le Quartier latin de Montréal, autrefois un incontournable épicentre de la vie culturelle de la ville, est aujourd’hui en proie à une dégradation globale de son tissu urbain .
Cette problématique qui s’intensifie, devenant ainsi plus constatable, n’est pourtant pas nouvelle : en 2012, dans un mémoire déposé dans le cadre de la consultation publique sur les programmes particuliers d’urbanisme du Quartier des spectacles, des citoyens déplorent déjà un sentiment d’insécurité grandissant entre les rues Berri et Beaudry, notamment autour de la place Émilie-Gamelin.
Pourtant, il semblerait qu’en dépit de cette dégradation évidente depuis maintenant plus de dix ans, les initiatives prises par la Ville de Montréal pour résoudre le problème restent d’une efficacité sévèrement limitée. La cohabitation au sein du Quartier latin devient chaque mois un enjeu plus complexe. En témoigne la fermeture définitive du magasin Archambault situé à l’angle des rues Berri et Sainte-Catherine Est, dont la direction déplore une dégradation du quartier qui semble momentanément sans solution.
Un environnement moins propice au commerce
Si un phénomène en particulier illustre clairement une dégradation significative de la qualité de vie au sein du Quartier latin, c’est bien celui de la désaffection de ce dernier par bon nombre de commerçants.
Jâd Rifahi, employé de l’entreprise familiale de restauration rapide Shawarma Habibi, est clair à ce sujet : « Ça fait dix ans que je travaille ici. […] C’était mieux avant [la COVID-19], on avait beaucoup plus de clients. » Interrogé sur ce qu’il pense être à l’origine de cette baisse de clientèle, le commerçant se contente d’indiquer d’un geste de la main la rue Sainte-Catherine dans laquelle est installé son commerce, comme s’il s’agissait pour lui d’une évidence. À l’extérieur de l’établissement, des personnes intoxiquées se crient des insultes à pleins poumons.
Par ailleurs, un autre facteur permet aisément de quantifier ce phénomène de dégradation : partout dans le Quartier latin, on constate des commerces et des bâtiments placardés sur lesquels figurent des pancartes « À louer » ou « À vendre ». Parfois totalement à l’abandon, parfois « habillés » d’affiches à visée purement esthétique, ces locaux vacants se multiplient, illustrant comment le quartier ne représente plus systématiquement un environnement favorable au développement d’activités économiques.
Un sentiment d’insécurité grandissant chez les résidents
La problématique d’itinérance n’étant pas nouvelle dans le Quartier latin, c’est l’intensification significative des incidents qui est à déplorer après la COVID-19. « Des fois, il y a des fous, des gens avec des problèmes de santé mentale », témoigne Xia Qiū, un habitant du quartier interrogé au sujet des
insécurités.
Un article paru dans Le Devoir en février 2023 fait d’ailleurs largement état des agressions violentes perpétrées par des itinérants de plus en plus fréquemment dans le Village, aux abords de la place Émilie Gamelin.
Il s’avère, en effet, que la pandémie est responsable d’une augmentation significative, chez les personnes en situation d’itinérance, de problèmes liés à la consommation d’opioïdes et à la santé mentale. Pino Tagliaferri, vice-président du Syndicat canadien de la fonction publique qui représente les employés du réseau de la STM, explique comment la pandémie a isolé les itinérants : « Pendant la pandémie, ils [les itinérants] ne restaient plus qu’entre eux. Ça a favorisé l’augmentation de problèmes de santé mentale, particulièrement à cause de la drogue. »
Usager régulier de la ligne verte qui connaît bien la station Berri-UQAM, Sami Nasri explique : « Oui, je me sens en sécurité. Après, cela vient probablement du fait que je suis un homme et que j’ai un bon gabarit. […] C’est sûr que ça ne doit pas être le cas de tout le monde. »
Pourtant, il semblerait qu’un bon gabarit ne soit pas toujours suffisant pour endiguer l’insécurité : en juin dernier, sur la place Émilie-Gamelin, alors qu’il assistait à un spectacle parmi des familles et des enfants, Rembrandt Alexander raconte comment un homme a fait tomber de son sac une seringue souillée de sang à seulement quelques centimètres de sa main.