La sécurité des enfants sur Facebook : une « faillite morale » selon la lanceuse d’alertes Frances Haugen
« Nous aggravons les problèmes d’image corporelle d’une adolescente sur trois », indique un document interne de Facebook divulgué par l’ex-employée du géant américain.
« L’époque durant laquelle vous avez envahi notre vie privée, promu des contenus toxiques et utilisé des enfants et des adolescents est révolue », a affirmé mardi le sénateur démocrate Ed Markey lors de la comparution de la lanceuse d’alertes Frances Haugen, ex-ingénieure chez Facebook.
En terminant son dernier quart de travail chez le géant américain, Haugen a emporté plusieurs documents internes de l’entreprise qu’elle a ensuite divulgués au Wall Street Journal. Selon elle, ces documents prouvent que Facebook a tenté à plusieurs reprises de cacher les conclusions de ses propres recherches à propos de la sécurité des enfants. « Nous aggravons les problèmes d’image corporelle d’une adolescente sur trois », indique un document interne de Facebook analysé par le Wall Street Journal. Un autre document révèle qu’un petit pourcentage d’adolescents britanniques et américains, tous utilisateurs d’Instagram, ont signalé avoir eu des pensées suicidaires causées directement par la plateforme.
« Quand on s’est rendu compte que les compagnies de tabac cachaient les dégâts qu’il [le tabac] cause, le gouvernement a agi. Quand nous avons compris que les voitures étaient plus sûres avec des ceintures de sécurité, le gouvernement a agi. Et quand on a appris que les opioïdes enlevaient des vies, le gouvernement a aussi agi. Je vous implore de faire de même ici », a supplié Frances Haugen lors de son discours d’ouverture.
L’image corporelle fragilisée
Au Québec, plus d’un jeune sur deux n’aime pas son corps, selon le groupe ÉquiLibre, une organisation facilitant une image corporelle positive. Sur des fils d’actualité comme Instagram, on retrouve souvent des images soignées, où l’on a appliqué un filtre, par exemple. La campagne #SelfieTalk de Dove a d’ailleurs révélé que 67 % des jeunes filles âgées entre 10 et 17 ans interrogées ont déjà essayé de modifier leur apparence sur une photo avant de la publier. De plus, certaines adolescentes peuvent prendre une dizaine de photos pour n’en choisir qu’une seule, en espérant satisfaire aux critères de beauté établis par la société. « Ce ne sont plus seulement les vedettes qui sont inatteignables, c’est aussi notre amie en classe ou notre cousine, a expliqué Andrée-Ann Dufour Bouchard, cheffe de projets chez ÉquiLibre, en entrevue avec L’Atelier. Ça peut avoir un gros impact sur l’estime de soi, sur le fait qu’on pense ne pas être à la hauteur. »
La rétroaction positive est quelque chose de très recherché chez certains jeunes, selon Andrée-Ann. Le problème, c’est que les jeunes reçoivent rarement des commentaires axés sur leur personnalité. Le physique devient donc primordial, ce qui met une énorme pression sur les utilisateurs d’un réseau comme Instagram, basé sur l’apparence. « On doit valoriser nos enfants sur ce qu’ils sont capables de faire et non sur ce dont ils ont l’air », a-t-elle affirmé sur la page Instagram du groupe ÉquiLibre.
Vers le bien-être des enfants… Vraiment ?
Quelques pistes de solutions ont été proposées afin de protéger les jeunes utilisateurs des réseaux sociaux. TikTok, par exemple, a annoncé il y a quelques semaines le développement d’un nouveau programme de prévention en santé mentale. La plateforme accueillera un guide de bien-être qui fournira des ressources d’aide aux utilisateurs recherchant des termes comme « suicide » ou « anorexie » dans la barre de recherche. Alors qu’Instagram a proposé une plateforme Instagram pour enfants, le projet a été mis sur pause suite à la polémique entourant son propriétaire, le géant Facebook.
Emmanuelle Parent, co-fondatrice de la fondation Le Ciel (Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne), se questionne sur la faisabilité d’une telle proposition : « Comment est-ce qu’une entreprise basée sur la collecte de données et sur la publicité pourrait s’adresser de manière éthique à des enfants ? ». Au Québec, il faudra rapidement remédier à la situation puisqu’une loi existe présentement pour protéger les enfants de moins de 12 ans de toute forme de publicité. Pour elle, une grande question subsiste : qui, entre les jeunes utilisateurs et Facebook, bénéficie le plus d’une telle plateforme ?