La démocratie biaisée par le manque de personnel

La démocratie biaisée par le manque de personnel
PHOTO FLORENCE CANTIN, L'ATELIER

Plusieurs électeurs, découragés par le manque de personnel et les files d’attente dans les bureaux de vote, ont choisi de rebrousser chemin et ont renoncé à voter lundi soir.

Au Centre Jean-Claude-Malépart, dans la circonscription de Laurier-Sainte-Marie, une centaine de personnes se sont agglutinées à l’extérieur de la bâtisse dans la soirée du 20 septembre. Puisqu’aucun employé n’était présent pour diriger la foule, les électeurs se sont placés en rang désorganisé. Les numéro de bureau de scrutin, écrits à la craie sur l’asphalte du terrain de basket, se perdaient dans l’obscurité.

Un par un, les gens ont compris qu’ils devaient se placer en file selon un numéro attribué. Certains, frustrés par les files d’attente trop longues et par le manque d’effectif, sont partis. Leur décision n’aurait pas pu être plus claire : ils n’allaient pas voter.

Climat anxiogène dans les circonscriptions

À quelques kilomètres, dans un autre bureau de la circonscription, les électeurs ont attendu plus de deux heures pour voter. C’est notamment le cas de Marie-Laurence, qui ne distinguait déjà plus le début et la fin de la file, toujours plus longue autour de la bâtisse. « Il y avait tellement de monde qu’on ne pouvait pas respecter le deux mètres, explique la votante en entrevue avec L’Atelier. D’ailleurs, les employés nous ont demandé de nous coller. La majorité [des électeurs] n’avait même pas de masques. » Elle affirme aussi avoir vu plusieurs personnes se désister en voyant la longue file qui entourait le centre.

En entrevue téléphonique avec L’Atelier le 16 septembre dernier, le porte-parole d’Élections Canada, Pierre Pilon, a révélé n’avoir atteint que 81 % de leur objectif de recruter 215 000 travailleurs. Un manque de personnel qui aura, en fin de compte, grandement affecté le bon déroulement des élections, autant pour l’électorat que pour les employés.

Des employés au front

Au Centre Jean-Claude-Malépart, Lenny, un employé du scrutin, a été désigné pour gérer l’ensemble de la foule. Le seul signe qui le distinguait des électeurs était la lumière de son téléphone qui illuminait son visage. À 21 h, le parc entourant le centre était plongé dans le noir. Pendant l’attente, Lenny s’est plusieurs fois confondu en excuses devant les protestations insistantes d’une foule impatiente. La soirée achevait et il tenait bon, malgré les conditions particulièrement difficiles.

« D’habitude, les employés du scrutin sont majoritairement des personnes âgées, a expliqué Lenny en entrevue avec L’Atelier. Cette année, les gens ont peur de la covid et ne veulent pas prendre de risque en travaillant pour les élections. Ça fait qu’on a moins de personnel. »

Non seulement le coronavirus a affecté le nombre d’employés au scrutin, mais il a aussi affecté le processus électoral en soi. « Les électeurs doivent passer par davantage d’étapes avant de voter, ce qui rend le tout beaucoup plus long et propice au mécontentement », a-t-il ajouté.

PHOTO FLORENCE CANTIN, L'ATELIER

Trop peu, trop tard

La désorganisation liée à la pénurie d’employés était pourtant à prévoir. Marianne Bessette, employée au scrutin, s’est occupée de superviser les scrutateurs tout au long de la période de vote. « On est deux superviseurs pour superviser 10 tables, ce qui est beaucoup pour deux personnes. Il faut vraiment avoir des yeux tout autour de la tête, regarder si tout se passe bien. […] En plus, avec la covid et la distanciation, c’est plus de travail », a affirmé la superviseuse adjointe en entrevue avec L’Atelier, moins d’une semaine avant l’élection.

Même si Élections Canada avait prévu ce manque de personnel en raison de l’absence de personnes retraitées, la covid et la pénurie de main-d’œuvre que subissent actuellement plusieurs secteurs, les électeurs pensent qu’une meilleure organisation aurait pu convaincre les récalcitrants de voter malgré l’attente. Un meilleur encadrement des employés inexpérimentés aurait été bénéfique au bon déroulement du processus de vote.

Finalement, ce sont ni les électeurs ni les employés qui ont payé le prix le plus cher de cette désorganisation, mais plutôt la démocratie. Les longues files d’attente et le manque de personnel ont contribué au découragement des électeurs qui se sont sentis contraints dans leur pouvoir démocratique et ont choisi d’y renoncer. Ces élections ont d’ailleurs enregistré un taux de participation de seulement 58,6 %, un taux qualifié « d’abyssal » dans l’histoire du Canada.

Un texte de Audrey Robitaille et de Florence Cantin