Jeunes et élections : une relation tourmentée

Mythe ou réalité, ce fameux « désintérêt » qu’éprouveraient les jeunes envers les élections? L’Atelier s’est entretenu avec neuf nouveaux électeurs à l’aube de leur première participation à une élection.
Peu d'engouement
Lorsqu’on regarde les chiffres, il faut se rendre à l’évidence : les 18-24 ans constituent le groupe d’âge dont le taux de participation aux élections est le plus bas au Canada. À l’élection fédérale de 2019, à peine 54% d’entre eux se sont rendus aux urnes. Ce groupe d’âge est également hétéroclite : bien que la jeunesse soit souvent associée aux courants progressistes dans le discours populaire, c’est pourtant la Coalition Avenir Québec qui a raflé le plus de votes chez les 18-34 ans à l’élection provinciale de 2018.
Un véritable casse-tête pour les partis politiques, qui ont dû développer des stratégies pour attirer le vote des jeunes. C’est le cas du Nouveau Parti démocratique (NPD), dont le chef, Jagmeet Singh, cumule près d’un million d’abonnés sur Tiktok. Des efforts louables, mais qui ne suffisent pas à suffisament mobiliser cet électorat insaisissable.
Contraintes de temps
L’Atelier a interviewé neuf jeunes âgés de 18 et 19 ans qui s’apprêtaient à voter pour la toute première fois. Parmi eux, seulement deux ne se sont pas rendus aux urnes. « J’ai travaillé comme scrutateur le jour du vote. J’étais dans un bureau de St-Léonard alors que ma circonscription est à Outremont, je n’ai pas eu le temps de me rendre », explique Théo Leblanc, étudiant de 19 ans.
Même s’il avait voté, il avoue qu’il n’aurait pas su pour qui. « Je comptais voter pour le Bloc, mais j’ai vu sur les réseaux sociaux qu’il y avait des allégations d’agressions sexuelles contre le chef Yves-François Blanchet », mentionne-t-il.
Blanchet avait fait l’objet d’allégations d’agressions sexuelles à l’été 2020, qu’il avait niées vigoureusement. Ces allégations ont toutefois refait surface sur les réseaux sociaux dans les derniers jours de la campagne. Plusieurs personnalités populaires auprès des jeunes, comme la chanteuse Safia Nolin et l’influenceuse Jessie Nadeau, ont en effet relayé sur leurs réseaux sociaux des témoignages de femmes se déclarant victimes de M. Blanchet.

L'étudiant de 18 ans Basile Grecki n'a pas voté non plus. « Ça ne me tentait pas de faire la file », explique-t-il. Dans Laurier-Sainte-Marie, la circonscription où vit Basile Grecki, plusieurs électeurs ont attendu pendant deux heures avant de voter.
Cela n'a pas suffit à freiner les ardeurs d'une jeune électrice comme Mathilde Beauséjour. Visionnez juste ici notre entrevue avec cette étudiante de 19 ans.

Enthousiasme
L’étudiante de 19 ans Léa Charbonneau a pour sa part voté pour le NPD dans Laurier-Sainte-Marie. « Je suis très heureuse d’avoir mon mot à dire, même si je ne crois pas nécessairement aux fondements de ce système qui repose sur le colonialisme, le racisme et le sexisme », explique-t-elle.
L’étudiante de 19 ans Jeanne Marengère s’est elle aussi rendue aux urnes avec enthousiasme. « Je pense que c’est un devoir de voter, et que c’est dommage que plusieurs jeunes négligent l’influence que leur vote peut avoir », estime-t-elle. Elle entretient malgré tout certaines réserves envers le mode de scrutin. « J’ai voté pour la candidate du NPD dans Papineau, mais peu importe, c’est Justin Trudeau qui va gagner ici de toute manière », se désole-t-elle.
Un désintérêt illusoire
Pour la chargée de cours à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke Eugénie Dostie-Goulet, on ne peut pas parler de « désintérêt » des jeunes envers la politique. « Lors de cette élection, il n’y a pas eu d’enjeu spécialement attrayant pour les jeunes. Même la question de l’environnement, souvent prisée des jeunes, n’a pas été au premier plan pendant la campagne », rappelle-t-elle.
Elle rappelle aussi qu’un faible taux de participation aux élections ne se traduit pas forcément par un désintérêt envers la politique. Dans les dernières années, les jeunes ont été nombreux à participer à des mouvements sociaux et politiques marquants, comme les manifestations Black Lives Matter, celles pour presser les gouvernements d’agir contre les changements climatiques ou encore la vague de dénonciations d’agressions sexuelles à l’été 2020 sur les réseaux sociaux.

« Ces mouvements attirent les jeunes parce qu’ils concernent des enjeux précis, alors que les élections portent sur un amalgame d’enjeux. Il y a quelque chose de plus lourd dans ce type d’évènement politique », explique Eugénie Dostie-Goulet.
Pas d’anomalie
Il semble que ce soit le propre des jeunes que de se mobiliser moindrement pour les élections. « Les jeunes ont toujours moins voté que les vieux. Mais il est vrai que les jeunes d’aujourd’hui votent un peu moins que les jeunes d’il y a 40 ans », relève Eugénie Dostie-Goulet. Pour séduire ce jeune électorat difficile à mobiliser, les partis politiques devront rivaliser d’inventivité dans les prochaines campagnes électorales.