Iran : l'enrichissement de l'uranium passe à 60 %
Le régime pourrait rapidement l'enrichir à 90 % à des fins d'utilisation militaire
Après avoir été la cible d'une attaque qu'elle attribue à Israël, l'Iran a annoncé mardi qu'il augmenterait sa capacité d'enrichissement d'uranium à 60 %, la rapprochant d'une capacité d'utilisation militaire. La République islamique franchirait ainsi un nouveau palier dans la violation de l'accord de Vienne sur le nucléaire.
On peut commettre une erreur, et c'est un peu ce que les Israéliens essaient d'obtenir.« - Pierre Pahlavi
L'uranium enrichi à 60 % servira à "produire du molybdène (un métal dur) utilisé à des fins de fabrication de différents produits radiothérapeutiques", selon l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (OIEA). Le régime pourrait rapidement passer aux 90 % nécessaires à l'utilisation militaire de l'énergie nucléaire.
Cette annonce intervient deux jours après l'explosion d'une bombe sur le site de Natanz, où une nouvelle usine venait d'être inaugurée à l'occasion de la Journée nationale du nucléaire dans le pays. L'explosion a anéanti le système d'alimentation des centrifugeuses permettant l'enrichissement de l'uranium.
Israël : suspect habituel
L'État hébreu considère l'Iran comme son principal ennemi dans la région et une menace à son existence même. Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, répète régulièrement son opposition à un retour à l'accord de 2015 et, plus généralement, à toute tentative de Téhéran de développer son programme nucléaire.
Le 27 novembre dernier, le physicien Mohsen Fakhrizadeh, qu'on qualifiait d'architecte du programme nucléaire iranien, a d'ailleurs été assassiné près de Téhéran lors d'une embuscade commandée, selon l'Iran, par Israël.
"Les Israéliens ne font que poursuivre la stratégie de pression maximale, qu'on a associée à Trump mais qui a été mise en place par les Israéliens et un peu par les Saoudiens », explique Pierre Pahlavi, membre de l'Observatoire sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand et professeur au collège des Forces canadiennes.
Israël a pour coutume de ne jamais revendiquer ou nier ses attaques contre les intérêts iraniens. Cependant, le New York Times a, dans un article paru dimanche, cité des responsables au sein des renseignements israéliens et américains qui affirment qu'Israël a joué un rôle dans cette explosion.
Escalade militaire ou tigres de papier ?
Lundi, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, avait désigné Israël comme coupable d'une "attaque terroriste" et avait annoncé que l'Iran se "vengerait des sionistes". Cependant, la réponse ne devrait pas être musclée selon Pierre Pahlavi. " Je pense que les Iraniens savent que les Israéliens tentent de les emmener dans l'escalade. Ils n'ont pas les moyens d'une guerre conventionnelle.", confie-t-il à L'Atelier.
Les événements de Natanz s'inscrivent dans une dynamique de guerre froide entre les deux pays, qui, depuis des années, s'affrontent à l'abri des regards : une sorte de "guerre de l'ombre", qui se matérialise souvent sur le terrain maritime, à travers le sabotage de navires militaires de part et d'autre.
L'attaque en soi ne remettra pas en cause les ambitions nucléaires du régime iranien, bien décidé à défendre bec et ongles sa souveraineté. La stratégie israélienne serait plutôt de faire monter la pression, selon M. Pahlavi, malgré les nombreux risques que cela implique.
"Le propre de ces conflits en zone de brouillard, explique-t-il, c'est que tout le monde reste pragmatique. Mais par définition, comme on est dans le brouillard, on peut commettre une erreur, et c'est un peu ce que les Israéliens essaient d'obtenir."
L'accord peut-il être ressuscité ?
Le retour à l'accord de 2015 qu'a affirmé souhaiter Joe Biden est hautement improbable selon Pierre Pahlavi. En effet, au-delà des pressions exercées par les acteurs externes, mais également par les adversaires politiques du président Rohani pour faire tomber les négociations, l'Iran et l'Occident ne sont pas sur la même longueur d'onde en la matière.
"Personne ne s'est vraiment assis (à la table des négociations) [...] Les Européens et les Américains veulent des accords élargis sur des points sur lesquels les Iraniens ne sont pas prêts à négocier de toute façon", explique M. Pahlavi. Peu de chances, donc, de voir ces discussions aboutir et mener à une stabilisation de la région.