Épouser le numérique, pour le meilleur et pour le pire

Nos vies ont été assiégées par le monde digital ces derniers mois. Réflexions sur cette transformation.

Épouser le numérique, pour le meilleur et pour le pire

Zoom sur le télétravail

Par Clara Descurninges

Confinement oblige, des technologies marginales il y a un an sont maintenant au cœur de nos vies. Même quand se terminera la pandémie, et avec elle les mesures sanitaires, le virage numérique, lui, sera là pour de bon.

« La pandémie a eu un effet accélérateur sur l’adoption de plusieurs technologies », explique le professeur titulaire en informatique à l’Université TELUQ Daniel Lemire. Il cite entre autres les secteurs de l’éducation, du travail, de la santé, de la restauration et de la vente au détail, où bon nombre d’activités se déroulent maintenant à distance.

Selon lui, cette popularité instantanée d’innovations technologiques n’est pas systématique : « La nouveauté, souvent, il y a une phase de résistance au début. »

L’application de vidéoconférences Zoom n’a pris que quelques mois avant de devenir chose courante. « C’en est même étonnant, quand on regarde la vaste gamme de gens dans la population qui ont adopté ça, de tous les âges, de tous les milieux, dans les écoles, dans les entreprises », ajoute le professeur Lemire. Cette transition « extrêmement rapide » s’est toutefois déroulée « sans anicroche », malgré une hausse importante de l’utilisation de la bande passante. Pas de « grosses failles de sécurité » et pas d’« entreprises au complet mises à terre », un exploit « remarquable » d’après le professeur Lemire.

Télétravail et retraite

La pratique technologique la plus emblématique du confinement est sans doute le télétravail. Alors qu’en 2018, moins d’un employé sur sept travaillait à partir de chez lui, en février 2021, le tiers de la population active faisait ses tâches à distance, selon un rapport de Statistique Canada. Cela correspond à peu près au nombre total d’emplois qu’il est possible d’occuper loin du bureau.

Avec le temps, les salariés s’habituent de plus en plus au confort de leur domicile. En mai 2020, au tout début du confinement, 39 % des Canadiens étaient  « disposé[s] ou très disposé[s] à continuer le travail à domicile lorsque les mesures de confinement seront levées », selon une étude de l’Université de Montréal. Maintenant, 80 % des travailleurs veulent « travailler au moins la moitié de leurs heures à la maison une fois la pandémie terminée », selon des chiffres de Statistique Canada publiés au début du mois d’avril.

Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à l’Université TELUQ qui se spécialise en gestion des ressources humaines, en économie et en sociologie du travail, pense que cette tendance ne disparaîtra pas avec la COVID-19. Même avant la pandémie, « il y avait quand même un certain nombre de personnes qui auraient souhaité faire du télétravail, mais leur employeur le leur refusait », dit-elle.

Cette réticence vient, selon elle, des cadres, qui craignent une baisse de productivité, et des syndicats, qui ne veulent pas perdre contact avec leurs membres. Pourtant, les chiffres de Statistique Canada montrent que la grande majorité des employés sont aussi efficaces à distance qu’au bureau. Le tiers d’entre eux accomplit même plus de travail à l’heure quand ils sont à la maison.

Ces conclusions ont été prouvées par l’expérience du confinement, selon la professeure Tremblay, qui prévoit aussi qu’il sera impossible de retourner en arrière, maintenant que « les gens ont fait la preuve » que ça fonctionne. Les patrons qui n’auraient toujours pas été convaincus par l’exercice se retrouveraient soumis aux nouvelles demandes de leurs employés, « dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre ».

Technologies mal-aimées

Ce ne sont pas toutes les nouvelles technologies qui voient une hausse de popularité en temps de pandémie. L’application de traçage Alerte COVID, lancée par le gouvernement fédéral pour enrayer la propagation du coronavirus, n’a été téléchargée que par 17 % des Canadiens. Seulement 28 000 d’entre eux ont signalé avoir été atteints par la maladie, un nombre en deçà du réel taux de contamination.

Ce résultat décevant, le professeur en informatique Daniel Lemire l’attribue à l’absence d’« effet de réseau » : « Si vous utilisez Zoom et que je suis l’un de vos amis, j’ai plus de chance d’adopter Zoom. » Par contre, « ce n’est pas parce que tous vos amis ont Alerte COVID que ça augmente votre chance de vouloir l’installer ».

La candidate au doctorat en droit, option innovation, science et technologie Marie Zumstein ajoute que les nouvelles technologies sont moins acceptées quand elles proviennent d’un gouvernement. Quand on s’inscrit à Facebook, « on pense que c’est parce qu’on en a eu envie, parce qu’on a décidé de nous-même », alors qu’avec le gouvernement, « on se sent plus contraints que libres de télécharger ».

Cette méfiance est « irrationnelle », comme « les entreprises privées utilisent aussi nos données », mais avec moins de considérations morales.

Tête-à-tête avec la COVID

Les applications remplacent les lieux de rencontre physique. Alexander Sinn

Par Sènan Guèdègbé

Devant les difficultés à rencontrer l’être cher à deux mètres de distance, plusieurs se sont tournés vers des applications de rencontre.

Imaginez : vous ne faites confiance qu’à vos amis pour vous faire rencontrer des gens. Les applications de rencontre n’ont jamais été une option pour vous puisque, lorsque les amis ne vous impressionnent pas, il y a toujours le travail pour rencontrer des gens…

Avec la pandémie qui s’enlise, les bars, le travail et les amis qui jouent les Cupidon se sont transformés en Tinder, Bumble et Hinge, trois des plus populaires applications de rencontre sur le marché.

Plusieurs n’auraient jamais pensé qu’en mars 2020, ces applications deviendraient l’un des seuls moyens de faire des rencontres amoureuses. Un boum dans leur utilisation a été remarqué; Tinder, l’application qui a créé le « swipe right » a recensé plus de 3 milliards de swipes en une journée, durant cette période.

Parmi ces swipes, certains appartiennent  à Nidia Guerrier, une jeune étudiante de 20 ans, qui s’est remise à l’utilisation de Tinder et de Bumble durant la pandémie, après une première expérience peu mémorable, deux ans plus tôt.

« Je m’ennuyais, j’avais besoin d’une distraction parce que j’étais coincée à la maison », explique-t-elle.

L’étudiante de 20 ans a remarqué que les interactions tournent beaucoup autour des relations physiques.

« On m’a embrassée sans mon consentement et j’ai eu une crise de panique dans la voiture », se rappelle-t-elle, avant d’ajouter que cette expérience lui a fait comprendre que les rencontres en ligne n’étaient pas pour elle.

« Je m’ennuyais, j’avais besoin d’une distraction parce que j’étais coincée à la maison » - Nidia Guerrier

Renata Ottati, une artiste de 25 ans, abonde en ce sens. Selon elle, la pandémie a déplacé la culture des relations physiques rapides des bars et des boîtes de nuit vers les applications de rencontre, et ce, même sur celles qui se présentent comme favorisant la création de couples, comme Hinge.

À la suite de ses interactions avec des hommes sur Hinge, elle conclut que beaucoup d’entre eux ont perdu l’accès facile qu’ils avaient à des relations physiques et sexuelles fréquentes, à cause des mesures sanitaires. Pour remédier à cela, ils se sont tournés vers ces applications pour tenter de retrouver cette activité sexuelle.

Elle s'était initialement tournée vers l’application après une rupture, recherchant la validation masculine, sans avoir l’intention de fréquenter des gens.

« Je voulais me réveiller et savoir que dix garçons avaient aimé mon profil, et me sentir bien », explique-t-elle.

Embrasser l’union entre l’art et le numérique

Judgement Of The Sphinx - Arena: une oeuvre de l’artiste québécois Agrophobe qui se vend actuellement pour 11 400 dollars canadiens.

Par Marie-Soleil Brault

Une tendance laisse croire que les galeries d’art traditionnelles devront peut-être bientôt partager le marché avec celles en format .jpeg. Des artistes en tout genre se tournent actuellement vers les jetons non fongibles (NFT) pour vendre leurs œuvres numériques et conséquemment profiter d’une ruée vers l’or.

Les NFT sont des actifs numériques, achetés aux enchères avec de la cryptomonnaie par des collectionneurs amateurs ou professionnels, et servent de certificat d'authentification prouvant l'unicité de l'objet. Dans le premier trimestre de 2021, plus de 860 millions de dollars ont été dépensés dans l’achat d'œuvres d’art numériques autour du globe.

«La question c’est toujours : qui te finance et qui va continuer à te financer? » - Antoine Lortie

La popularité de ce nouveau modèle artistique « élargit le champ des possibilités dans le domaine de la création », croit la journaliste culturelle Marjorie Champagne, elle-même récemment initiée à la vente d'art NFT.Pour l'artiste numérique de Québec Antoine Lortie, la liberté de créer des œuvres contestataires l’a attiré vers les enchères numériques. « L'art public, au Québec, son gros défaut, c'est qu'il ne veut pas mettre [des points de vue divergents] en 'avant et avec les NFT, c'est accepté », explique celui connu sous le nom d'artiste Agrophobe.

La prospérité artistique

Les NFT sont également un moyen pour les artistes d’avoir un droit de suite sur leurs œuvres grâce à des redevances automatisées dans la base de données associée au jeton. « En art, l'argent est un incroyable problème, car la question, c'est toujours : qui te finance et qui va continuer à te financer? », souligne Antoine Lortie, qui vend ses œuvres NFT depuis août dernier.

Ces jetons non fongibles sont aussi une porte d’entrée qui permet aux artistes d’investir dans leur propre talent, peu importe sa forme. Image, vidéo, GIF, monde virtuel : tout peut être vendu et collectionné. Les spéculateurs et les investisseurs gardent les yeux rivés sur ce nouveau vecteur numérique qui, même intangible, risque de se tailler une place de choix dans les habitudes des collectionneurs.

Charmer ses abonnées pour diversifier son revenu

Vanessa, âgée de 24 ans et employée dans le domaine de la communication, a profité de la pandémie pour créer sa propre entreprise de vente de chocolats sur Instagram. Courtoisie de Vanessa 

Par Géraldine Joseph

Que ce soit en créant leur propre compagnie, en travaillant au moyen de plateformes numériques ou encore en investissant à la Bourse, plusieurs jeunes adultes n’ont pas laissé la COVID-19 les déstabiliser.

C’est le cas de Vanessa et Mikaël, un jeune couple qui a décidé d’utiliser ses connaissances en communication et en administration pour créer son entreprise, Cupid’s Heart.

Avec l’arrivée de la Saint-Valentin, le couple cherchait un moyen pour que les gens puissent passer du temps de qualité tout en respectant les mesures sanitaires. Il a donc commencé à vendre des paquets cadeaux composés de cœurs géométriques en chocolat confectionnés à la main, que l’on doit fracasser ou faire fondre avec du chocolat pour y trouver des friandises ou des fruits frais.

« Envoyer un cœur en chocolat durant la Saint-Valentin, c'est parfait. Tu ne brises aucune règle de distanciation, puis au moins la personne à qui tu l’envoies sait que tu as une pensée pour elle », confie Vanessa à L’Atelier.

Instagram, une plateforme de vente

C’est par l’entremise d’Instagram que le couple a mis en marché Cupid’s Heart. Grâce à des publications qui ont capté l’attention, ils ont convaincu leurs abonnés de devenir des consommateurs. L’expérience Cupid’s Heart a été un succès et a permis aux deux entrepreneurs de profiter des réseaux sociaux et de la pandémie pour garnir leur portefeuille.

La cryptomonnaie comme source de revenus

Bachelier en droit à l’Université de Montréal et maintenant étudiant à l’École du Barreau du Québec, Mathieu, 22 ans, a perdu son emploi de serveur dans un restaurant de la Rive-Sud, à cause de la pandémie.

Toutefois, il ne s’est pas laissé déstabiliser par l’incertitude liée à la situation sanitaire. « L’avantage de la pandémie est que je dépensais beaucoup moins, mais mon seul revenu était l’aide gouvernementale. J’ai voulu maximiser cette source de revenus en m’intéressant à la Bourse et à la cryptomonnaie, dans le but d’investir l’argent de la PCU [Prestation canadienne d’urgence] », confie-t-il.

Mathieu explique que le fait d’être à la maison à ne rien faire lui a donné une raison de plus de vraiment se lancer. « La crypto est plus intéressante que je le pensais, et j’ai réussi à avoir de meilleurs rendements. Alors, on pourrait dire que la pandémie m’a permis de trouver une autre possibilité que la Bourse. Je crois que je vais me concentrer davantage sur cela après la pandémie et garder la Bourse pour le plus long terme. »