Élections fédérales 2021: l'apogée de la démocratie virtuelle participative?

En pleine crise sanitaire, les réseaux sociaux ont été au cœur de la communication politique de la campagne fédérale. Les cinq chefs se sont mobilisés massivement sur les plateformes sociales (Facebook,Twitter, Instagram,Tik Tok..), se construisant avec minutie une image publique pour tenter de séduire notamment un électorat plus jeune. Quel a été l’impact des réseaux sur cette campagne fédérale ? Les réseaux sociaux jouent-ils un rôle trop important dans la vie publique ? Deux experts et une jeune électrice nous aident à décrypter les bienfaits et les limites de cette démocratie virtuelle participative où la mention « j'aime » côtoie les insultes et les menaces.
Entre « wedges issues » et ciblage de l'électorat
Les responsables politiques ont trouvé sur les réseaux une façon simple et rapide de communiquer directement avec leur public en partageant leurs positions sur une multitude de sujets. Les élus n'ont pas hésité non plus à évoquer des thématiques clivantes dans le but de diviser l’électorat. Cette stratégie de communication aussi qualifiée de « wedge issues » par Raphaël Melançon, diplômé en communication, président de Trafalgar stratégies, mais aussi bloggeur sur le site Les affaires.com, c'est une technique qui peut sembler efficace au départ, mais qui est aussi selon lui est « un jeu dangereux, car c’est un peu comme rajouter de l’huile sur le feu ». Il a notamment constaté que « le ton a durci pendant la campagne, au début Trudeau s'est retrouvé sur la défensive, il a donc choisi d'utiliser des enjeux clivants pour changer la dynamique de sa campagne comme la question de la vaccination obligatoire ». Mais toujours selon cet expert « le véritable atout des réseaux c’est surtout de pouvoir cibler un public précis ».
En effet, les réseaux comme Facebook sont maintenant utilisés par une multitude de tranches d’âge différentes et donc grâce à un système algorithmique performant, les experts en communication peuvent cibler la catégorie la plus apte à réagir au message politique du candidat. Alexis Hudelot, chargé de cours à l'UQAM en science politique et en communication, explique que « ces publicités cherchent souvent plus à viser les personnes âgées et servent la plupart du temps à confirmer ce que pense l’électeur ».
Une opinion partagée par Ana, une jeune électrice de 25 ans, « je constate que les personnes jeunes autour de moi ne portent pas beaucoup d’attention aux publicités. Je ne connais pas le ratio pour l’âge, mais beaucoup étaient plus influencés par leurs ami(e)s pour faire leur choix ». Mais l'axe principal du «jeu» politique sur les réseaux sociaux consiste avant tout à séduire l'électorat, en tentant de donner aux candidats l'image d'une personne sympathique, celle d'un homme ou d'une femme «comme tout le monde».
De la course à la popularité à la démagogie
Une véritable course à la popularité s’est enclenchée dans les rangs des prétendants au poste de Premier ministre, Raphaël Melançon évoque un véritable « culte de la personnalité autour des chefs et un culte de la culture populaire ». Il explique qu’auparavant « le politicien avait tendance à être placé sur un piédestal, c’était une figure quasiment inaccessible, mais aujourd’hui il y a un vrai désir de rapprochement ».
Les exemples les plus parlants de cette nouvelle tendance sont probablement les vidéos du chef du NPD, Jagmeet Singh, sur Tik-Tok, elles ont cumulé des millions de vues et suscité des milliers de commentaires. On peut le voir danser, faire des blagues sans oublier bien sûr d’appeler à voter pour son parti, tout en s'appropriant parfaitement les codes de Tik-Tok. Un mode de communication qui selon M.Hudelot «n’est pas là pour convaincre de potentiels électeurs», mais pour «rallier des sympathisants à la cause qui auront ensuite une influence sur leurs proches».
Mais les jeunes électeurs, principale cible, ne sont pas dupes pour autant « je trouve que Jagmeet Singh essaye trop d’être quelque chose qu’il n’est pas et qu’il le fait plus pour la popularité comme influenceur et avoir des contrats personnels que de façon professionnelle pour les élections » Raphaël Melançon considère qu’il y a en effet « une ligne fine à ne pas franchir », dans un climat de compétition constant entre trop et pas assez, le juste milieu reste donc très difficile à trouver. En moins d’une semaine près d’un million de dollars ont été investis par les partis des cinq chefs dans des publicités électorales sur Facebook et Instagram. Tout cet argent pour des entreprises privées qui prennent donc de plus en plus d’ampleur dans le débat public, tout en étant des réservoirs qui alimentent le climat toxique qui règne sur les réseaux sociaux.
« Les mercenaires de l'influence » et un climat toxique ambiant
« La quantité d’informations qu’ils sont capables de collecter sur chaque individu est positivement effrayant » précise Alexis Hudelot, notre expert qualifie les entreprises à la tête des réseaux sociaux comme étant « des mercenaires de l’influence », des structures privées qui donnent aux plus offrants des outils permettant d’orienter l’opinion du public. Alexis Hudelot pense que « le gouvernement a une vision très archaïque des réseaux sociaux, ce sont des sites qui sont beaucoup plus pernicieux. » tout en précisant que « le fait d’exercer une influence n’est pas un problème en soi car tous les médias de masse le font, le problème c’est que ces grands groupes monnayent cette influence ».
Au final, l'électeur doit subir une « ligne éditoriale » floue qui bénéficie financièrement à des acteurs inconnus. Les fausses nouvelles sont désormais monnaie courante sur les réseaux sociaux même de la part des politiciens, on peut notamment prendre en exemple la vidéo truquée d’Erin O'Toole par l’équipe libérale en août dernier. Selon Raphaël Melançon les médias traditionnels doivent plus que jamais jouer leur rôle afin de « de contrebalancer ces fausses informations. » en ajoutant qu’aujourd’hui avec la multiplication des sources « n’importe qui avec un site web bien monté peut se prétendre journaliste ». Une situation qui est donc très difficile à contrôler, comment en effet arrêter efficacement la diffusion de fausses nouvelles ? Faut-il engager des censeurs, des gardiens de la vérité ? M. Melançon pense que c’est avant tout « une question d’éducation, il faut développer l’esprit critique et activement vérifier les informations pour voir au-delà de ces stratagèmes. »
Les réseaux sociaux sont maintenant au cœur de la vie publique, chaque média social se battant avec acharnement pour capturer votre « temps de cerveau disponible ». La question étant maintenant d'imaginer comment cette nouvelle forme de communication évoluera dans les prochaines années? En tous les cas, la démocratie virtuelle participative qui faisait encore rêver il y a encore quelques années semble avoir d’ores et déjà montré ses limites.