Atterrissage en douleur pour l'inflation
Le Canada va subir une courte récession modérée et la Banque du Canada commencera à baisser son taux directeur à la fin 2023, selon le Mouvement Desjardins.

Par Camille Brasseur
Jimmy Jean, vice-président et économiste en chef du Mouvement Desjardins, a présenté mardi une mise à jour de ses prévisions économiques et financières. Il prévoit d'autres augmentations des taux d'intérêt, pour juguler l'inflation persistante, et une récession. « Ce sera un atterrissage plus en douleur qu'en douceur », ose-t-il.
La menace de la récession
Mais il veut rassurer. La pénurie de main-d'œuvre pourrait atténuer la hausse du taux de chômage et accélérer sa baisse. Par ailleurs, il estime que le taux d'épargne très élevé des Québécois est un « coussin assez avantageux pour affronter une crise ». Il permettra de mieux supporter les pertes d'emploi et d'éviter les insolvabilités.
Guillaume Hébert, chercheur à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), est moins confiant. Le Canada pourrait être déjà entré en récession. « À chaque fois que la Banque du Canada a cherché à juguler l'inflation, [...] elle a provoqué une récession, » remarque-t-il. Il dénonce un résultat « pire que ce qu'on cherche à éviter », considérant que la récession frappe plus durement que l'inflation.
Le cas du secteur immobilier
Premiers touchés par les variations du taux directeur, les intérêts des hypothèques ont augmenté significativement. Ils absorbent les paiements mensuels. Cela force les emprunteurs à payer plus pour respecter les termes de leur contrat.
Cependant, Jimmy Jean conseille de choisir un taux variable lors d'un renouvellement, puisqu'il prévoit une baisse avant 2024. Guillaume Hébert trouve risqué de faire des prévisions à long terme, même s'il ne les juge pas insensées.
Les prix des propriétés ont baissé. Mais l'augmentation des taux d'intérêt compense complètement cette baisse, constate Jimmy Jean. Elle ne facilite donc pas l'achat. Et cela risque de durer.
Les choix des banques centrales

Les prévisions de Jimmy Jean diffèrent beaucoup de celles qu'il faisait au mois de mai. « Il y a eu un changement de cap assez dramatique au niveau des banques centrales », explique-t-il. Le taux directeur était monté à 1% le 13 avril. Après trois nouvelles augmentations, il s'élève à 3,25%. Il pourrait changer encore le 26 octobre.
Jimmy Jean « [s'attend] à ce que les banques centrales aient le dessus sur l'inflation ». Mais il pense qu'elles devraient arrêter leur resserrement, qui est le plus agressif depuis les années 1980. Il anticipe que les taux resteront élevés plus longtemps, pour consolider le retour à une inflation normale, soit autour de 2%. Les banques centrales resteront très conservatrices d'après lui et baisseront peu les taux directeurs.
Guillaume Hébert remarque que la Banque du Canada annonçait une hausse des taux directeurs depuis longtemps. Mais elle craignait « d'étouffer une économie fragile », avance-t-il. Pour lui, les taux ne baisseront que quand des gens feront faillite et perdront leur maison ou leur emploi.
Le problème de la pénurie de main-d'œuvre
Le manque de travailleurs perturbe l'économie et interpelle les économistes. Jimmy Jean le voit comme une conséquence de la pandémie et du vieillissement démographique. Il l'explique par de nombreux départs à la retraite, une forte reprise en 2021 qui a créé beaucoup d'emplois et le choix de certains de se tourner vers le télétravail ou des secteurs plus sécuritaires.
Pour Guillaume Hébert, il y a d'autres causes : « les salaires ne sont pas assez élevés » et « il y a beaucoup de mauvais emplois ». Il poursuit : « [la hausse des taux directeurs] risque de mettre fin à une brève période durant laquelle les travailleurs se sont retrouvés avec le gros bout du bâton. »
Si le chômage augmente, il craint l'impossibilité de négocier de bonnes conditions de travail. Or, ces négociations auraient pu « permettre un rattrapage des salaires qui sont [...] dans une quasi-stagnation depuis plusieurs décennies », analyse-t-il. Il conclut que l'ensemble de la société aurait pu en tirer profit.