L'art comme bouclier et portail pour des artistes de Mashteuiatsh

Vivre et s'épanouir à travers la création, pour ces artistes de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh, l'art permet de renouer avec soi-même ou ne de pas se perdre.

L'art comme bouclier et portail pour des artistes de Mashteuiatsh
L'exposition se déroule à la Galerie UQAM du 10 février au 1er avril (Photo : Photographie de l'une des œuvres par Flora Tauliaut)

Par Flora Tauliaut

À l'occasion de l'exposition collective "Eshi uapatakau ishkueuatsh tshitassinu" / "Regards de femmes sur le territoire", Sonia Robertson, commissaire de l'exposition, Soleil Launière, Marie-Andrée Gill et Sophie Kurtness nous introduisent à leur approche de l'art, à travers leurs expériences et les enjeux de leur communauté.

Dans un contexte social aux enjeux épineux, ces femmes de la communauté Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh ont choisi de s'exprimer par l'art. Permettant de se retrouver pour certaines et de ne pas se perdre pour d'autres, la création est devenue une raison de vivre et un moyen de dénonciation.

Le tremblement d'une vie

Soleil Launière, artiste multidisciplinaire pratiquant l'art performance, le théâtre, le chant et le mouvement, a vécu la première partie de sa vie dans la communauté Mashteuiatsh. Résidente à Tiöhtià:ke – Mooniyang (Montréal), elle est revenue sur la terre de ses ancêtres dans le cadre du projet de résidence artistique. Ça a été une guérison et une reconnexion pour la jeune femme. L'exposition n'en représente pas moins à ses yeux.

" Pour moi l'exposition est un rite de passage de guérison à travers le tremblement et les traditions ancestrales Innu […]  C'est le train de mon enfance, ça me ramène à une connexion vers les cérémonies plus traditionnelles malgré le côté colonial (de son histoire)"

Au centre de son œuvre, la notion de tremblement occupe une place importante dans la vie de l'artiste. Caractérisé par le train qui passait en face de chez elle ou encore la " tente tremblante " de cérémonie traditionnelle Inu qu'elle associe à la connexion avec d'autres mondes spirituels, le tremblement est la ligne conductrice de l'artiste.

" C'est avec le tremblement que j'ai pu entrer une nouvelle fois dans le territoire et me reconnecter avec. En fait, l'exposition est un peu comme un passage entre le monde des vivants, des esprits et des animaux. "

L'art comme refuge et dénonciation

"Mon corps tremble" de Soleil Launière a été choisi avec deux autres artistes pour l'exposition d'œuvres qui ont été créées dans le cadre du programme de résidence d'artiste 2021-2022 du centre d'artistes Le LOBE de Chicoutimi.

Ainsi aux côtés de l'œuvre de la jeune femme, "Céline Kushpu" de Marie-Andrée Gill et "Takuneu, porter la vie" de Sophie Kurtness font rayonner l'art de leur communauté, au grand plaisir de la responsable de la résidence d'artiste et commissaire de l'exposition, Sonia Roberston.

" Voir ces trois œuvres réunies au même endroit, c'est une vraie fierté pour la communauté. Elles abordent chacune les choses d'une manière différente et permettent d'avoir une vision plurielle. "

Sonia Robertson est dans le milieu de l'art depuis plus d'une vingtaine d'années. Pour elle, l'art est la raison de vivre.

" Si je n'avais pas eu l'art je serai pendue au bout d'une corde […] l'art me permet de m'exprimer, de me connecter à quelque chose de plus grand que moi, de voyager et prendre confiance en moi, je ne vois pas pourquoi je ne ferais pas d'art ", affirme-t-elle en riant.

Au-delà du cadre artistique, le projet de la résidence consistait à donner sa représentation du territoire Mashteuiatsh dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Ainsi, les enjeux de protection du territoire, d'accès à la terre et de colonialisme sont aussi centraux pour Sonia Robertson.

" Les forêts sont toutes rasées à cause de la coupe à blanc faite par les entreprises forestières avec l'accord du gouvernement. "

Pour l'artiste, la création artistique a été une échappatoire à ce qu'elle décrit comme " une enfance pas facile, comme pour la plupart des personnes issues des Premières Nations ", rapelle-t-elle, évoquant les séquelles des atrocités perpétrées à l'encontre de ces communautés.

Ainsi, l'art se place à la fois bouclier contre les conséquences des évènements historiques et portail pour la reconnexion, l'expression et la dénonciation.

Avec Mon corps tremble de Soleil Launière, Céline Kushpu de Marie-Andrée Gill et Takuneu, porter la vie de Sophie Kurtness sont les trois œuvres de cette exposition collective.
Avec Mon corps tremble de Soleil Launière, Céline Kushpu de Marie-Andrée Gill et Takuneu, porter la vie de Sophie Kurtness sont les trois œuvres de cette exposition collective. (Crédit photo : Photographie du texte explicatif à la Galerie UQAM par Flora Tauliaut)